Opérationnelle depuis 2019, l’équipe d’Infirmiers de rue à Liège est composée d’une dizaine de personnes et a pour objectif de sortir de la rue les personnes sans-abri en situation d’extrême précarité, pour les réinsérer de manière durable dans un logement et dans la société. D’ici la fin 2023, elle recherche 50 000 € pour financer ses activités.

Entretien avec deux travailleuses de terrain de l’association : Amy, 27 ans, y est infirmière depuis un an et Doriane, 35 ans, exerce la fonction d’assistante sociale depuis trois ans.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous engager chez Infirmiers de rue ?

AMY : La cause du sans-abrisme m’a toujours attirée et je voulais casser ses représentations, aller au-delà de certains a priori mais par-dessus tout, aller au rythme des personnes. Chez Infirmiers de rue, on aborde la santé de manière globale, contrairement à l’hôpital où on se concentre sur un seul problème.

DORIANE : L’existence du sans-abrisme au 21ème siècle, dans un pays développé comme le nôtre, m’a toujours interpellée. Je connaissais un peu la méthodologie d’Infirmiers de rue et je savais que j’allais pouvoir faire beaucoup de travail de terrain à la rencontre des personnes, en allant à leur rythme et réaliser un suivi global et sur le long terme. Cela donne le temps d’avancer et d'accompagner la personne, une réelle plus-value !

liège

Y a-t-il une spécificité à travailler chez Infirmiers de rue ?

DORIANE : C’est vraiment la manière de travailler, le fait d’aller la rencontre des personnes dans leur milieu de vie, de prendre le temps de créer le lien et d’établir la relation. Le travail et le rapport avec la non-demande est intéressant également. Enfin, on se base sur la méthodologie « Housing first », le logement d’abord, qui est très inspirante.

AMY : Ici on attend que le lien de confiance se crée pour qu’une demande émane et qu’on puisse, ensemble, entamer les démarches. C’est un travail à long terme et l’accompagnement est non conditionné. C’est vrai que, contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’une infirmière, je réalise peu de soins en tant que tels, et suis plus dans le social. Mais pour moi ça reste un travail sur la santé dans sa globalité. Ce qui est financier, social, bien-être, tout doit être pris en compte quand on prend soin de la santé d’une personne.

 

Comment décrivez-vous les caractéristiques de votre public à Liège?

DORIANE : Ce sont des personnes pour qui le risque de mortalité en rue est élevé et qui cumulent plusieurs difficultés (santé physique, santé mentale, addictions etc). Elles connaissent un long parcours de rue et un appauvrissement de leurs relations sociales, familiales ou amicales. Elles sont généralement fort éloignée du logement et sont dans des mécanismes de survie. .

AMY : On observe que les personnes en rue sont connues de beaucoup de structures. On le sait parce qu’elles nous le disent elles-mêmes, mais aussi grâce aux réunions que l’on a avec le réseau une fois par mois. Quand on suit une nouvelle personne, on communique avec le réseau. Chaque association a des missions qui lui sont propres et on vérifie que notre accompagnement apporte une plus-value. Par ailleurs, avec le réseau on envisage de resensibiliser les structures de soin aux personnes avec des problèmes de santé mentale et des addictions, car les prises en charge sont souvent trop restrictives. On cherche aussi des solutions pour sensibiliser les citoyen·nes à notre public.

Soutenez l’action d’Infirmiers de rue à Liège

Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez dans le suivi des patient·es ?

DORIANE : C’est le fait que les structures ne sont pas toujours adaptées à notre public. Par exemple, dans certaines maisons d’accueil, il est demandé aux personnes d’appeler toutes les semaines , voire tous les jours, pour prouver leur motivation et conserver leur place sur une liste d’attente alors que la majorité de nos patients n’ont pas de GSM. Le problème des consommations n’est pas non plus assez pris en considération. Il s’agit souvent d’un mode de survie en rue, dès lors, comment demander du jour au lendemain à un personne de tout arrêter pour pouvoir être hospitalisée ou pour entrer en maison d’accueil ? De respecter un cadre précis alors qu’on parle pour nos patients de plusieurs années en rue ? Dans ce contexte, la méhodologie Housing First est vraiment intéressante et fort adaptée à nos patients. Heureusement, au fil du temps, avec certaines structures, on parvient à se connaitre mieux, à discuter et à obtenir que les choses changent un peu.

AMY : Notre public est stigmatisé, victime de discriminations et ça complique la prise en charge pour certains soins. En fait, les difficultés n’émanent pas de nos patient·es, car notre travail nous permet de prendre le temps, on a moins de pression. Pour moi, tout le problème ne repose pas sur les personnes mais plutôt sur des choix sociétaux, politiques, etc. Puis si on avait les moyens, financiers et humains, des logements, ça irait mieux. On me dit parfois que je fais un métier difficile. Mais c'est la société dans laquelle on vit qui est difficile, pas mon métier ! La société n'est pas adaptée à ce public. Et c’est démoralisant de voir qu’on traite toujours le problème du sans-abrisme dans l’urgence. Nous on travaille avec l’humain, et la société tend vers l’opposé. Il faudrait essayer de rassembler plutôt que de diviser.

Comment restez-vous motivées malgré tout ?

DORIANE : On fait des rencontres très riches d’un point de vue humain, et on voit que notre travail a un vrai impact sur la vie des gens et sur la société. On relativise certaines choses. On se sent utile chaque jour. Le tout, c’est de continuer à y croire jusqu’au bout et de savourer chaque petite victoire. Les échanges et le travail en équipe aident aussi beaucoup à rester motivé·e.

AMY : Garder une positivité, même quand on fait un pas en arrière, ça permet d’aller de l’avant. Puis le fait de travailler avec une super chouette équipe. Chez Infirmiers de rue, on a l’espace pour parler, exprimer notre ressenti après chaque rencontre. Il y a beaucoup d'échanges, dans le respect du ressenti de chacun, car on est tous uniques. C’est accepté, c’est une force. Chaque avis est pris en compte. Il y a beaucoup de moments forts en équipe, très compliqués ou réjouissants : une personne qui décompense en rue ou une remise en logement. Dans nos réunions d’équipe, il y a beaucoup d'échanges, de débats sur la situation des patient·es. On se sent entendu·e et c'est une forme de reconnaissance. On peut dire qu’il y a beaucoup de bienveillance dans l’équipe.

 

Si vous deviez évoquer un événement marquant dans votre travail, ce serait lequel ?

AMY : Lors d’un de mes premiers suivis en logement, je ne m’attendais pas à ça, mais une personne a été agressive verbalement. Ses problèmes personnels avaient refait surface, elle était plus nerveuse qu’avant la mise en logement, à cause de la solitude, etc. On est leur point de référence et la colère s’extériorise sur la personne avec qui ils se sentent en confiance. Une mise en logement, on s’imagine que c’est une grande avancée mais les premiers moments sont très compliqués. Face à de l'agressivité dans une rencontre, on apprend à mettre de la distance avec le travail.

DORIANE : Je crois que c’est le fait que vivre en rue est beaucoup plus difficile que ce qu’on pourrait croire de l’extérieur. On pense souvent au manque de nourriture ,au froid , à l’inconfort physique mais les conséquences sur la santé mentale sont extrêmement importantes également. La rue abime le corps et l’âme de manière forte.

Pouvez-vous formuler un espoir pour l’avenir ?

AMY : Je rêve d’une société qui ne divise plus, qui porte un regard sur tout ce qui se passe dans le monde et qui s’intéresse aux gens qui nous entourent.

DORIANE : Que notre travail puisse se recentrer sur l’accompagnement des personnes, sans être « parasité » par la recherche de fonds, de logements, etc. Que davantage de solutions structurelles soient proposées et mises en place pour contrer le phénomène du sans-abrisme.

Vous avez un message pour le grand public ?

AMY : On s’imagine la peur que peuvent générer des a priori, de fausses représentations. Il faut dépasser cela, aller à la rencontre des gens. Leur situation est beaucoup plus complexe que ce qu’on pense. Il faut dépasser ses préjugés. Et ne pas hésiter à nous soutenir, les besoins sont là !
DORIANE : Le sans-abrisme n'est pas un choix des personnes en rue, des solutions sont possibles et la réinsertion en logement peut fonctionner. Nous soutenir, c’est nous permettre de continuer à travailler avec la même qualité et trouver des solutions de logement.
Pour Liège

Soutenez l’action d’Infirmiers de rue à Liège !