À Monsieur J.*,

Mais quelle semaine ! On peut le dire, je me suis sentie vivre avec vous: un cocktail d’émotions, allant du rire aux larmes, sans oublier ma patience qui a été mise à rude épreuve.

Notre première rencontre remonte à quelques mois maintenant, quand j'ai commencé mon stage comme infirmière en rue. Très vite, vous m’avez beaucoup fait rire, par votre spontanéité, votre honnêteté mais aussi par votre tchatche incroyable.

J’ai rarement rencontré une personne qui parle autant. Ce qui me fait beaucoup sourire mais qui est aussi, je l’avoue, énergivore.

Eh oui, à la fin de nos rencontres, je me sens littéralement vidée. Mais c’est une des raisons qui me fait me sentir vivre.

Les semaines se suivent, un lien se crée, et rapidement, nous arrivons à cette fameuse semaine.

Lundi, lors de notre réunion d’équipe hebdomadaire, j’apprends que nous nous verrons trois fois, aujourd'hui et dans les prochains jours, pour divers rendez-vous importants.

@Luc_Mairesse

Ma première réaction est de me dire " chouette ", c’est toujours sympa de partager des moments avec vous. Et pourtant, je me surprends à me dire également, dans un coin de ma tête : " ouille, après cette semaine tu vas avoir besoin de repos ".

Dès l’après-midi, nous nous retrouvons. Comme à votre habitude, vous avez besoin de parler, de nous faire part de vos craintes, vos angoisses mais aussi de vos joies et bons moments passés. On vous écoute encore et encore, on vous rassure, on vous dit qu’on se charge de tout et on s’étonne même de se dire que vous êtes vraiment un "attachiant ".

Lors de notre rencontre suivante, vous êtes un peu moins en forme car beaucoup de choses vous tracassent. On tente de vous rassurer et de répondre à vos attentes même si ce n’est pas toujours évident. Mais nous sommes là, vous nous dites que ça vous fait du bien.

Waw, on voit l’Atomium et on décide d’aller la voir de plus près. Vous êtes à moitié rassuré, vous nous expliquez que vous avez le vertige. Pas d’inquiétude, on ne rentre pas ! On ne fait que la regarder. Qu’elle est belle, ça mérite une photo souvenir !

La journée se termine sereinement et nous nous disons à demain pour notre troisième et dernier rendez-vous de la semaine.

Le lendemain, j’arrive au bureau. Je me prépare pour venir vous chercher pour un rendez-vous qui, comme vous le dites si bien, vous permettra d’avancer et reprendre votre vie en main.

Pourtant quelque chose cloche. Je constate deux appels en absence reçus durant la nuit. Étrange. Je rappelle.

On m’annonce que vous êtes décédé cette nuit, Monsieur J.

Mon cœur se serre, les larmes viennent, c’est tellement inattendu.

Et maintenant que vous êtes parti, même si je peine à le dire, je dois vous faire part du fait que le temps que ça aura duré, vous m’aurez fait me sentir « vivre ».

Bon voyage Monsieur J.,

Eva, infirmière

Sans vous, il n'y a pas de nous.

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patients et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte.