Dans cette tranche de vie, une travailleuse sociale d’Infirmiers de rue témoigne de sa rencontre, en dehors du travail et par hasard, d’une patiente. Attention, ce texte aborde les violences sexuelles et le harcèlement que peuvent subir les femmes sans-abri.

« Après un verre entre ami·es, je m’assieds dans le métro, comme chaque soir. Rapidement, je me rends compte que la femme qui me fait face fait partie des personnes accompagnées par Infirmiers de rue. Elle ne me reconnaît manifestement pas.

Je l’observe confier à l’homme qui est à ses côtés sa volonté de s’installer dans la station de métro Trône, là où elle serait tranquille. Mais l’homme semble peu enclin à entendre son souhait. À la place, il lui rétorque qu’il “aime lui chatouiller le cul”. Un peu gênée, la femme l’appelle son « mari » comme pour excuser l’incursion de son intimité.

De sa voix alcoolisée, l’homme poursuit son agression.

Le ton se durcit. Il lui lance plusieurs fois qu’il compte bien la « prendre par derrière ». Il s’approche, la serre, continue à vomir ses propos putrides.

Elle se débat, insiste pour qu’il la lâche.

Elle tente l’indifférence mais son regard en dit long. J’y perçois la peur et la détresse d’une femme contrainte à subir une situation inéluctable.

Elle sort du métro avec l’homme à ses basques. Je les perds du regard.

Je me suis demandée si j'avais pu faire autre chose à mon échelle. Prendre la parole ? Me montrer plus ferme ? Donner à la dame une liste de lieux où se mettre à l'abri ?

Et puis je me suis sentie impuissante.

Je sais qu’elle fréquente des groupes d’ami·es en rue et qu’elle connaît les actes de certains. Je connais aussi le travail que font mes collègues avec elle et les difficultés à l’extraire des situations abusives.

Mais, en tant que femme, je n'ai pas pu m'empêcher de sentir un élan particulier pour la femme qu'elle est.

J'ai aussi eu un fort sentiment d'injustice envers toutes ces femmes qu'un État laisse vivre dans des conditions de vulnérabilité et d'indécence telles, qu'elles ne peuvent imaginer et prétendre à un autre destin que celui de se faire agresser sexuellement en rue. »

Vous n'en pouvez plus de l'injustice ?

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils·elles doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.