Ce matin-là, Monsieur A. nous ouvre le portail du terrain sur lequel se trouve son logement modulaire. Nous l’avons appelé pour le prévenir de notre arrivée à l’improviste et il s’est empressé de venir nous accueillir avec un grand sourire. Je le redécouvre après plusieurs mois passés dans son module, ses cheveux poivre et sel brossés soigneusement, le visage halé et avenant. Il nous invite chaleureusement à boire un coca frais à l’intérieur.
Il y a quelques mois, tout cela nous aurait semblé impensable, bien que le cœur de notre travail soit d’imaginer l’impossible pour amener, petit pas par petit pas, nos patient·es vers le rétablissement.
Nous avons rencontré Monsieur A. suite à un signalement, il y à peine deux ans, le long d’un boulevard bruxellois étouffant, assis au milieu de quantité de sac et de détritus, toujours assis en tailleur au même endroit. Nos échanges étaient cordiaux mais Monsieur A. semblait méfiant et refusait tout ce que nous pouvions lui proposer, même un simple café.
Avec le temps, et au fil de nos rencontres, il nous confiait quelques bribes décousues de son passé : l’expulsion traumatique de son logement, son envie de nature et de mer, ses divers métiers à Bruxelles.
Sa confiance envers nous semblait grandissante mais toute proposition concrète de logement et d’aide au niveau médico-social se heurtait à un de ses sourires mystérieux et fatigués : « Pas aujourd’hui, on en parlera plus tard. » Pendant de long mois, Monsieur A. est resté immobile au milieu de ses nombreux sacs, jamais nous ne l’avons vu se lever.
L’hiver arrivant, une rupture s’est produite. Nos conversations s’écourtaient et le lien fragile que nous avions tissé avec lui durant 6 mois s’étiolait malgré le sourire mélancolique qu’il nous offrait toujours. Finalement, nous avons été prévenus que Monsieur A. allait être expulsé de son lieu de vie pour cause de travaux. Nous avons pu nous coordonner avec le Samusocial afin qu’il puisse être hébergé en urgence dans l’un de leurs centres.
Nous craignions alors que, pour une personne si ancrée dans son environnement, cette expulsion soit un grand choc, qu’il se referme encore davantage. Pourtant, elle a semblé agir comme un déclic pour Monsieur A. après les deux longues années figées en rue. L’équipe a saisi ce moment pour reproposer à Monsieur un logement.
Malgré la lenteur des procédures administratives et les nombreux rendez-vous auxquels il a fallu s’astreindre, Monsieur A. n’en a manqué aucun, bien que nous puissions sentir une certaine angoisse dans ses silences.
Au printemps, Monsieur A. a emménagé dans son logement modulaire. Nous savons qu’il lui reste un long chemin à parcourir pour se relever des différentes épreuves qu’il a eu à traverser mais il arrive désormais à se projeter plus sereinement dans l’avenir.
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(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils·elles doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.