Le 30 juin 2025, notre collègue Hélène a participé au Conseil communal de la Ville de Liège pour interpeller les autorités sur l’aggravation du sans-abrisme dans leur commune. Une ville où les solutions de logement sont bien trop rares, où le projet d'habitats modulaires a été détourné et où les solutions concrètes se font attendre. Les relais sociaux vont, en outre, voir leurs financements diminuer et les associations risquent de ne plus être soutenues par aucun des niveaux de pouvoir à Liège.
Voici son discours :
« Monsieur le Bourgmestre, Mesdames et Messieurs les échevines et échevins, Mesdames et Messieurs les conseillers communaux,
Au nom d’Infirmiers de rue, et de toutes celles et ceux préoccupés par la problématique du sans-abrisme à Liège, je vous remercie pour l’attention que vous accorderez à cette interpellation.
En 2020, suite au dénombrement des personnes sans chez-soi, nous savions que près de 500 personnes étaient sans-abri à Liège. Des chiffres qui ont assurément bien augmenté en cinq ans. Cette année, les arrondissements de Charleroi, Namur et Verviers ont fait l’objet de nouveaux dénombrements. Les données à Charleroi ont démontré une augmentation de 30 %. Nous pouvons nous attendre à la même douche froide à Liège. En effet, on estime que près de 20 000 personnes sont sans logement en Wallonie.
Or, la rue use, on le sait. L’espérance de vie d’une personne sans-abri est de 48 ans. Mais la rue tue aussi. Le 13 mai dernier, pas moins d’une trentaine de noms ont été cités lors de la Cérémonie des Morts de la rue pour rendre hommage aux personnes décédées en rue, ou des suites de la vie en rue, à Liège, depuis deux ans.
Ces chiffres impressionnants, les citoyennes et citoyens de Liège en sont témoins et nous les vivons dans notre travail d’accompagnement au quotidien. Nos équipes, comme celles d’autres structures, voient sans cesse de nouveaux visages, ont du mal à suivre et à répondre aux besoins.
Le public d’Infirmiers de rue (IDR) est constitué principalement de personnes sans-abri très vulnérables : en rue depuis au moins deux ans, isolées, souffrant de problèmes de santé physique chroniques, de santé mentale, et/ou d’assuétudes. Grâce à une prise de contact en rue via l’hygiène et la santé, nous tentons d’accompagner ces personnes jusqu’au relogement et au-delà, c’est-à-dire jusqu’à la réinsertion sociale qu’on qualifie aussi de “rétablissement”. Bien entendu, ce parcours est long, semé d’embûches, ponctué d’avancées et de rechutes, que nous préférons voir comme des étapes plutôt que comme des échecs.
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Pour ces personnes que nous suivons, un logement à soi n’est souvent plus qu’un rêve inaccessible, dont ils ne se sentent pas dignes, et le “bien-être” et la “sécurité” sont devenus des notions étrangères.
La première étape – fondamentale – est d’établir une relation de confiance. Ce n’est pas gagné puisque nos patients ont de tels parcours de vie qu’ils ne l’accordent plus si facilement, souvent déçus, trahis, abusés ou abandonnés par des gens qu’ils aimaient. Et puis les travailleurs sociaux, ils en ont vu défiler et en ont assez de déballer leur vie pour qu’on les aide à “retrouver le droit chemin”. Trouver ce qui les touche et les motiverait à se mobiliser est essentiel pour que les démarches administratives et médicales trouvent un sens. “Si un jour, je retrouve un logement où je pourrais inviter mes enfants que je ne vois plus depuis des années, je suis d’accord de refaire à nouveau ma carte d’identité, de me réinscrire au CPAS, de me recréer un compte en banque, de me remettre en ordre à la mutuelle, de reprendre soin de ma santé…”.
Parallèlement, il y a la question du logement, ou plutôt le nœud du logement. Comment trouver un toit pour un public dont personne ne veut ? Des gens largement discriminés compte tenu des stigmates visibles et invisibles de la rue, qui ne peuvent pas se permettre un appartement 1 chambre à 700 €/mois, aussi euphorique qu’angoissé à l’idée de revivre en logement. Il faudra se montrer créatif pour convaincre les propriétaires privés, comme publics.
Malgré les contraintes, le modèle Housing First a permis de reloger 2 200 personnes en Belgique en 10 ans. À Liège, Infirmiers de rue a accompagné une trentaine d’entrées en logement en 6 ans d’existence. C’est une méthodologie qui fonctionne et qu’il faut appuyer.
Heureusement, on peut parfois compter sur le soutien des pouvoirs publics. Dernièrement, c’est le projet “Territoire zéro sans-abrisme” (TZSA) qui nous a permis d’accompagner ces personnes. Mais nous sommes inquiets : c’est tout un secteur qui a la boule au ventre suite aux annonces de la nouvelle majorité wallonne : 50 millions d’euros en moins pour le logement public en Wallonie, réduction annoncée de 850 000 € pour les Relais sociaux, le projet “Territoire zéro sans-abrisme” ne sera pas prolongé après novembre 2025, mettant en péril des projets nécessaires ainsi que de nombreux emplois. Rien que pour l’arrêt du TZSA, ce sont 34 millions d’euros sur deux ans qui vont disparaître pour l’ensemble de l’associatif wallon.
Dans le même temps, les décisions fédérales augmenteront la mise sous pression des CPAS, dont nous constatons déjà les effets par anticipation. Puis nous apprenons que les déductions fiscales seront réduites pour les citoyennes et citoyens qui veulent faire des dons, affaiblissant davantage le milieu associatif qui vit aussi grâce à ces rentrées.
Comment allons-nous collectivement absorber l’effet de ces décisions alors que des milliers de personnes connaissent déjà la détresse, que les logements abordables manquent déjà ?
La création de logements modulaires dans les environs de Liège pour sortir 6 personnes de la rue faisait partie des solutions défendues par Infirmiers de rue, et qui avait été soutenue par la Région wallonne dans le cadre de l’appel à projets TZSA. Hélas, ce projet – comme d’autres – n’a finalement pas vu le jour. Lors du Conseil communal d’avril 2024, nous apprenions, sans aucune information officielle ni consultation préalable, que les 265 000 euros prévus pour les modules allaient être alloués à d’autres projets.
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À l’époque, les propos de M. le Bourgmestre se voulaient rassurants : « Le mécanisme de l’habitat modulaire n’est pas mis en cause », « le projet n’est certainement pas abandonné », avait-il assuré. « Nous allons voir pour un autre terrain », mais vous laissiez entendre que ce serait encore mieux si nous trouvions un terrain en dehors de Liège, plutôt dans l’arrondissement, afin que tout le monde « fasse sa part ».
Pourtant, les avantages de l’habitat léger à vocation sociale sont nombreux : solution rapide, peu coûteuse, éventuellement déplaçable, permettant une diversité de profils d’habitants et de synergies avec différents services. Les aspects positifs pour les locataires sont également à noter : loyers peu chers et charges réduites, logement facile à entretenir, adapté à un public plus marginal ou en recherche de tranquillité, ou comme l’a dit un patient relogé en module à Bruxelles, en recherche de vie “sur la rue” plutôt que “dans la rue”.
Contrairement à certains préjugés encore tenaces, ce ne sont ni des tentes, ni des installations précaires. Ce sont de vrais logements, qui permettent l’intimité sans isolement, la sécurité sans enfermement, une transition vers la réinsertion, tout en respectant les particularités des personnes concernées. Ils permettent aussi aux locataires de garder leur animal de compagnie quand ils en ont, ce qui est souvent primordial.
Concernant les personnes à qui nous avions promis un module, M. Demeyer a publiquement affirmé au Conseil d’avril que « nous verrons, en partenariat avec Infirmiers de rue, à trouver des solutions ». Mme Yerna, échevine du logement et de la Régie foncière, s’est exprimée dans le même sens en juin. L’interpellation d’aujourd’hui est le résultat d’une année de tentatives – vaines – d’avoir cette discussion. Ce ne sont pas moins de six courriers qui vous ont été envoyés, restés sans réponse, mais aussi des interpellations de vos collègues lors des Conseils communaux de juin et de septembre.
Bien sûr, il y a eu la campagne et les élections communales qui vous ont sans aucun doute bien occupé·e·s. Votre programme de parti, de même que la Déclaration de politique communale mentionnent d’ailleurs tous deux la volonté de poursuivre le Housing First et les initiatives comme “Territoire zéro sans-abrisme”. Mais nos derniers courriers en date du 26 novembre et du 19 mars (où nous avions pris la peine d’envoyer également une version postale recommandée) sont restés lettres mortes, littéralement.
Au-delà du fait que nous puissions prendre cela comme un manque de respect, nous sommes perplexes quant à ce silence assourdissant. Qu’est-ce que cela dit de la priorité que vous accordez à la lutte contre le sans-abrisme ? Nous nous sommes toujours adressé·e·s à vous dans un esprit constructif de proposition. Il en est de même aujourd’hui, car, malgré votre manque de considération, nous ne perdons pas à l’esprit que notre objectif est de participer à la réponse collective à donner au problème du sans-abrisme dans les rues de Liège.
Je terminerai en insistant sur l’importance des besoins en logement digne et abordable, et pas que pour les personnes sans-abri. IDR se réjouit de la lutte mise en place concernant les logements vides à Liège, mais simultanément, il faut aussi lutter contre les discriminations et augmenter le parc locatif public.
Je vous remercie déjà pour vos réponses qui nous permettront d’y voir plus clair, et espérons-le, en plus de la clarté, de voir de la lumière. »
Contact
Infirmiers de rue asbl – Antenne de Liège
Rue Saint-Léonard 117, 4000 Liège
liege@idr-sv.org