Je* sors parfois très en colère de mon travail, à cause des conditions dans lesquelles nous sommes parfois amené·es à travailler. Je m'explique.
Nous accompagnons des personnes avec des parcours de vie complexes et qui cumulent généralement de grandes problématiques de santé mentale.
Iels disent souvent avoir été malmené·es lors d’hospitalisations passées, et restent marqué·es par les mises en observation et les médications forcées. Dès lors, iels peuvent se montrer particulièrement méfiant·es envers les hôpitaux et la psychiatrie de manière générale.
Quand, après des mois de discussion, après des années de travail du lien et de création de la confiance, nous parvenons à les convaincre de se rendre à un premier rendez-vous avec un·e psychiatre, il faut bien admettre que, tant nos patient•es que nous-mêmes, attendons beaucoup du rendez-vous en question.
Mais nous sommes souvent déçu·es.
Déçu·es des hôpitaux qui fonctionnent à la chaîne et n’offrent que trente minutes chrono pour raccrocher quelqu'un qui a vécu des années complètement déconnecté de la psychiatrie. Déçu·es de la saturation des services, des délais d’attente, de la complexité des inscriptions et de l’exigence de savoir formuler une « demande claire ».
Déçu·es de certain·es psychiatres qui ne veulent pas prendre en charge nos patients car, pour reprendre leurs propos, « leur cas est trop lourd » et qu’« ici on ne fait pas les mises en observations ».
Un·e professionnelle de la santé mentale qui répond cela à une patiente qui lui explique que personne n’a jamais pris son suivi au sérieux, ne se rend peut-être pas compte des dégâts générés avec ses paroles. Quand plusieurs psychiatres, à de multiples reprises, refusent de prendre en charge nos patient·es, quand les portes des hospitalisations restent closes, quand les équipes mobiles déclinent leur suivi car nos patient·es sont soit « trop en crise » soit ne le sont « pas assez », nous nous sentons parfois seul·es face à la détresse de celles et ceux que nous accompagnons.
Je ne veux pas jeter la pierre à ce secteur qui manque clairement de financements, et en vient à devoir prioriser tant bien que mal. Mais introduire une demande d’aide coûte déjà suffisamment à nos patient·es, et mettre en échec ces demandes est déplorable. Car il faudra sans doute des mois avant de pouvoir à nouveau tenter de les raccrocher avec un suivi psychiatrique.
Et qu’en attendant, leur souffrance est palpable.
Témoignage de Eileen, assistante sociale pôle logement
Faites un geste pour ceux qui en ont besoin
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(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.