A., un de nos patients en rue, est décédé récemment dans des circonstances peu claires. Il était entré dans nos suivis depuis plus de trois ans, vivait en rue depuis probablement dix ans ou plus.

Sous son beau sourire, son histoire vague et sans cesse répétée, et ses refus persistants d’aide, nous soupçonnions des blessures familiales et de l’exil. Nous ne saurons sans doute jamais.

© P-Y Jortay

Il y a un an, nous avions essayé, via une hospitalisation sous contrainte, de le faire sortir de ces ornières dangereuses. Sans succès malheureusement, la mesure n’ayant pas été prolongée. La rue lui aura été, finalement, fatale.

Les patients psychiatriques qui vivent en rue sont très vulnérables, de par leurs problèmes de santé mentale, mais aussi et surtout parce qu’ils vivent pendant des années en rue. Les mesures de contrainte sont parfois la seule façon de leur permettre de sortir de cette situation, d’y survivre, et, à terme, d’aller mieux et parfois beaucoup mieux.

© P-Y Jortay

Des situations comme celle-ci, fréquemment rencontrées par nos équipes, nous rappellent à quel point ces procédures ne peuvent être négligées, ce qu’elles peuvent représenter de potentiellement salvateur pour ces patients, et le risque auquel elle les soustrait. Nous pensons que nous devons tous, en Région bruxelloise, interroger nos pratiques par rapport à ces mesures, pour l’intérêt et la survie de nos patients.

Témoignage de Françoise, médecin bénévole, qui a régulièrement rencontré A. pendant ses années en rue : 

« J'avoue aussi que son décès me touche quand même fort...Des regrets évidemment (...et si...! )...mais une part de tristesse...sans doute importante, le revers de l'attachement, de l'amitié..

Et ces petites attentions qu'il avait parfois vis-à-vis de nous...comme "nettoyer" la place où on allait s' asseoir.. c'était adorable et drôle vu le contexte !

Sa poignée de main, il y tenait...C'est étonnant comme ce contact est gravé, sans doute parce que le reste de la communication était limité... Son passé, son histoire il l'évoquait à peine. Il nous répondait juste par quelques bribes très difficiles, toujours les mêmes, puis il se figeait, s'enfermait dans un mutisme, vraisemblablement signe d'un syndrome post traumatique. Difficile de soigner cela en rue... 

Devant sa mort, un sentiment de la faillite du système... A priori il n'aurait pas dû mourir maintenant, médicalement parlant. Il y avait du monde autour de lui qui s'en préoccupait... Les différentes équipes de terrain, des habitants de son quartier, des habitués de la gare du Nord... et aussi le personnel de la gare, de la sécurité, ils nous en parlaient, ils s’inquiétaient pour lui entre autres à cause des travaux.

Des patients comme lui nous font grandir dans notre humanité, on peut le remercier A...

On te remercie A.. Tu avais quelque chose de très attachant, une part de joie en toi, une force de vie... Ton beau sourire quand on arrivait, ton regard un rien malicieux, toujours content de nous voir, ta poignée de main solide... Et même tes petites attentions vis-à-vis de nous...! Un rien quand même désespérant ton "niets nodig" ..! Une force de la nature !

Tu n'aurais pas dû mourir ce jour A...

Tant de monde tenait à toi... »

Cette histoire vous a touché ?

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(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patients et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte.

© P-Y Jortay - Infirmiers de rue 2021