Ceci est le témoignage d'une personne suivie par l’équipe My Way des Infirmiers de Rue. Il est émouvant, voire choquant. Heureusement, il se termine sur un ton positif. 

« Si je devais aujourd’hui parler à mon moi, enfant, je lui dirais : "Bon courage..." Mon rêve serait que la majorité des PMR (polymyalgia rheumatica) qui le désirent puissent travailler comme ils le veulent. »

Mains d'un patient

Je suis né en 1975 à Bruxelles, prématuré à 6 mois et 2 mois en couveuse.

Je n’ai jamais accepté mon handicap. Je vois ça comme une punition.

J'ai toujours considéré que ma vie n’était pas comme je voudrais qu’elle soit. Je ne suis pas dans la norme de la société, comme elle le dicte. Bien que la société change et inclut petit à petit ces personnes. En effet, elles deviennent plus visibles. Avant, on n’aurait jamais voulu les voir. On n’a pas (ou vraiment très peu) de ministres, acteurs, chanteurs à mobilité réduite.

D’ailleurs dans les films, les personnes invalides sont  jouées par des gens bien portants. On n’est pas bien représentés.

Moi je vieillis, je ne me sens pas bien. La solitude me pèse.

Je parle de punition parce que je n’ai pas voulu être comme ça, j’aurais préféré mourir.

Chaque chose que j'avais envie de faire, on m’a dit que je ne pouvais pas. On me propose d’autres choses: « Tu pourras juste t’occuper, occuper des heures, jamais être comme tout le monde. »

Aujourd'hui j'ai presque 50 ans, je n'ai pas trouvé les bonnes personnes pour mettre des choses en place. J’ai l’impression qu’il est trop tard maintenant pour pouvoir faire quoi que ce soit.

Les personnes qui m'entourent ne m’ont pas soutenu, m'ont pris pour un fou.

J’ai déjà fait 2 tentatives de suicides…

Je suis nostalgique, je vis dans le passé: « C’était mieux avant. »

Car à présent, la technologie éloigne les personnes, le système et la vie ont changé, on n’a plus le temps pour les gens, on n'ira bientôt plus au boulot, on ne verra plus les autres.

Et on ne nous a pas consultés pour ce nouveau système. Notre voix n’est pas entendue !

Par exemple : pourquoi on supprime toutes les agences de banque? Ils ont de l’argent pour les maintenir… Non, il faut avoir un smartphone pour faire tes démarches.

Cette société nous écrase, nous voit comme des moutons.

Je ne veux pas ça ! Je veux changer les choses !

J’ai regardé un reportage sur les personnes à mobilité réduite. On y parle d’inclusion des personnes ; il faudrait arrêter de mettre les PMR entre eux dans les écoles, et mélanger tout le monde. On est en chemin mais, ici, en Belgique, ça n’est encore que des exceptions !

Je ne veux pas me donner des excuses, mais du fait de mon handicap, j’ai pris beaucoup de retard. Je n’ai pas mon CESS, je sais à peine lire, écrire et calculer. Je ne suis pas idiot.

Ce qui m’aide, c’est que je sais m’exprimer. La télé m’a aidé à apprendre ça par moi-même.

Il est temps que je mette de l’ordre dans ma tête. J’ai les idées noires. Avant d’intégrer mon logement en janvier 2020, ça allait encore. Mais depuis, le Covid a tout fichu en l'air.

Je m'entends encore dire que je n’y arriverai pas ! « Tu ne pourras jamais intégrer le marché du travail, ni faire ceci, ni faire cela. Croire en ça, c’est un rêve. »

Je suis au bout du rouleau, je viens ici dans ce lieu car ça me permet de ne pas être seul dans mon malheur.

Ce corps ne me représente pas, je ne l’aime pas.

Je ne bois pas, je ne me drogue pas car ça crée des problèmes, et j’ai déjà des problèmes.

C’est compliqué une vie d’adulte, indépendant et seul. J’ai du mal à dormir, à bien manger, …

Qu’est-ce que, nous, les personnes avec ce genre de handicap, on peut apporter ? J’ai des doutes sur mon utilité dans la vie, je ne sais pas changer les choses, je ne peux pas travailler,… A quoi je sers  ? Pourquoi m’a-t-on gardé en vie ?

D’un point de vue politique, le vote aujourd’hui ne change plus rien, le système est déjà fait.

Et c’est dans sa profondeur qu’il faut le changer.

Les personnes avec le handicap qui le vivent bien, ne rêvent pas de choses qu’ils ne peuvent pas avoir, ne se préoccupent pas de se comparer aux autres. Elles vivent LEUR vie.

Mes parents ne voulaient pas comprendre mon handicap. Ils me faisaient comprendre que c’était de ma faute, que je ne faisais pas d’efforts, me traitant d’assisté. « Le système te nourrit, tu ne fais rien », « Regarde les gens en Afrique, ils y arrivent bien EUX, ils ont une famille, … »

Message de notre système : "Tu aurais voulu, tu y serais arrivé !"

Mon père était autodidacte, il a trouvé un travail ici, s’en est sorti. Pour moi qui ai eu la chance d’aller à l’école, il ne voit pas ce qui m’a empêché d’être avocat, médecin ou ingénieur. Il n’a jamais cru en moi, et aujourd’hui, j’ai tant besoin de ça.

J’aurais juste voulu être actif dans la société, me lever tous les matins pour aller au travail, faire comme tout le monde.

Je hais ce corps, je ne le supporte pas, il n’y a plus d’espoir.

Dans cette société que je vois, je ne me vois pas. Comment les personnes à mobilité réduite (même de la nouvelle génération) peuvent s’en sortir dans cette société-là ?

 

Nous sommes heureux que, depuis la rédaction de ce texte en 2021, ce monsieur évolue dans son processus de rétablissement, grâce à l’accompagnement de l'équipe My Way et du réseau. Il a trouvé des endroits où sa voix peut se faire entendre. Ça lui fait du bien et il se sent valorisé.

 

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils·elles doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.

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