Madame L. a presque 50 ans. À la rue depuis 20 ans, placée depuis un très jeune âge, elle a subi les dysfonctionnements du système belge. L’équipe d’Infirmiers de rue basée à Liège s’inquiète pour elle, et se sent impuissante face à sa détresse.

La colère

Madame L. a besoin de soins, ce n’est pas nouveau. Elle fait face à de nombreux défis, dont une maladie infectieuse incurable et l’accumulation d’addictions.

Récemment, elle a été hospitalisée deux fois à sa propre demande. Malgré nos démarches, on l’a à chaque fois laissée sortir bien trop tôt.   

Mais elle est persévérante, Madame L. Elle a commis un acte de vol à l’étalage dans l’objectif d’être mise en prison, et ainsi accéder aux soins médicaux et psychologiques dont elle avait besoin.

Cela ne s’est pas totalement déroulé comme prévu : elle a passé beaucoup de temps en isolation, subi des violences de la part d’autres détenues, et rencontré des difficultés de collaboration entre le système carcéral et le secteur psycho-médico-social.  

Après quelques mois d’incarcération, retour à la case départ : la rue, sans rien.

La tristesse

Lors de notre dernier contact avec elle, elle était dans un état de souffrance intense, complètement déconnectée de la réalité. Elle était désabusée par ce système qui ne la reconnaît pas pour ce qu’elle est : un être humain comme les autres. Avec des besoins, et des droits.

Depuis sa plus tendre enfance, son histoire est pavée d’embûches. Elle a été placée hors de son noyau familial. Enchaînant les rejets, elle a été ballotée par le système qui ne savait que faire d’elle et de ses troubles du comportement nourris par son manque d’ancrage affectif. Un cercle vicieux qui a empêché Madame L. d’avoir une place digne dans la société.

Je ressens aussi du dégoût envers ce système inflexible, rigide, violent pour toute personne qui ne rentre pas dans le moule imposé. Un terreau fertile pour l’auto-exclusion, et le sans-abrisme. 

La frustration

Cela fait des années que nous suivons Madame L. Malgré les collaborations fructueuses avec d’autres organisations, il nous est impossible de lui trouver un endroit où elle aurait réellement sa place. Son profil ne correspond pas aux critères (santé mentale, handicap, toxicomanie, …) des institutions déjà saturées. 

Ne serait-ce pas plutôt la société qui est inadaptée à Madame L. ?

L’inquiétude et la bienveillance

Nous avons perdu la trace de Madame L. Elle est dans un état psychique fragile, et nous craignons qu’elle se retrouve dans des situations dangereuses. Et surtout, nous voulons qu’elle le sache : elle n’est pas seule.

  • D’après le témoignage de M., assistante sociale de l’antenne liégeoise

 

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils·elles doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.