S'il y a bien un aspect dans mon travail qui m'est difficilement supportable, ce sont les décès.

Lorsqu'un·e patient·e nous quitte, il faut fermer le dossier et poursuivre avec les autres. Cette phrase est difficile mais c'est la réalité du terrain.

A l'école, je n'ai pas appris à gérer toutes les frustrations et questionnements que cela engendre.

© Pierre Lecrenier

Heureusement, nous sommes bien épaulé·es par les collègues, mais aussi le collectif des Morts de la Rue, lorsque nous devons nous lancer dans l'organisation de funérailles. 

J’ai été frappée, lors de l'enterrement d'une patiente il y a quelques mois, par le nombre de personnes présentes. Je pensais que nous serions seules avec la bénévole accompagnatrice qui lui rendait visite chaque semaine. Finalement, une vingtaine de personnes de sa famille se sont déplacées pour l'accompagner vers sa dernière demeure.

Je me suis alors questionnée sur la légitimité de ma présence.

À mes patient·es, je voudrais dire : « Bien que je ne sois qu'une assistante sociale de passage dans votre parcours, vous n'êtes pas juste des personnes sans-abri que j'accompagne dans des démarches. Vous êtes des êtres humains qui font partie de mon quotidien. Et lorsque vous disparaissez du jour au lendemain, c'est toujours un choc. Un lien se crée au fil des rencontres, et, que cette relation soit compliquée ou pas, vous prenez de toute façon une certaine place. »

Comment gérer ces émotions ?

Je pense que ce qui m'est le plus difficile à digérer, ce sont ces questionnements qui n'auront jamais de réponse : « Si vous aviez vécu dans d'autres conditions, seriez-vous encore en vie ? Si les portes administratives s'étaient ouvertes plus facilement, seriez-vous encore en vie ? Si l'accès aux soins/aux infrastructures était moins compliqué et épuisant, seriez-vous encore en vie ? Si votre réseau ne s'était pas épuisé, seriez-vous encore en vie ? Si on avait pris le temps de vous écouter/de vous orienter/de vous accompagner/de créer du lien plus tôt, seriez-vous encore en vie ? »

Désormais, lorsque je décroche le téléphone, j'appréhende un peu de recevoir une mauvaise nouvelle. La mort restera présente dans mon travail et je resterai partagée entre acceptation et indignation.

Ce témoignage vous a touché ?

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patients et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.