Arcadia ! Non, ce n’est pas ce pays mythologique où des bergers heureux jouent la flûte et vivent d’amour et d’eau fraîche. C’est dans une maison de repos de ce nom que nous avons retrouvé Monsieur M. pendant une visite de suivi du pôle My Way.

Après avoir vécu dans la rue pendant des années, il avait trouvé, grâce à Infirmiers de rue un appartement. Heureux départ de la vie éprouvante de la rue - un des objectifs majeurs d’Infirmiers de rue visant la réintégration et l’indépendance de ses patient·es sans-abri. Succès d’autant plus grand qu’il a pu partager le nouveau logement avec sa compagne, elle aussi échappée de la rue.

Mais le bonheur est fragile. Des problèmes de mobilité de sa compagne font qu’elle ne peut pas rester avec lui. Seul dans l’appartement, monsieur M. perd le moral, situation aggravée par le fait que ses proches esquivent tout essai de contact. L’équipe My Way reste à ses côtés et lui organise l’alternative d’être bien entouré dans une maison de repos et de soins. D’abord, entrer dans un nouveau cadre et en accepter certaines limites inévitables ne l’enchante pas.

Mais il s’est laissé convaincre et cela fait trois mois qu’il y est. Lorsque nous entrons dans sa chambre, grand sourire ! On dirait que les craintes du passé se sont évaporées. Il a transformé la porte d’entrée en support artistique pour une grande scène plastifiée de Superman. Sur les murs de sa chambre, des photos de personnes chères à lui, et de son petit chat qui n’a pas pu l’accompagner : règlement intérieur de la maison oblige. Sur son chevet, des livres : il lit beaucoup.

Pas besoin de lancer la conversation. Monsieur M. est intarissable, rigole et donne des réponses rassurantes aux questions de l’équipe. Comme il fait beau, on lui propose une courte promenade vers un petit parc dans les environs.

A la sortie de la maison, il flirte avec la réceptionniste dont les réactions montrent qu’il est déjà bien connu et apprécié.

Pas seulement dans la maison. Dans le quartier­­­­­, il semble connaître tous les passants qu’il salue jovialement. Difficile de l’ignorer d’ailleurs, avec sa tenue, casquette et canne inclues, témoignant, dans toutes les couleurs, de son attachement à son club de foot favori.

Long parcours cruel oublié ? Porte du passé fermée ? Non, bien sûr. Indéniable, la mélancolie qui fait parfois surface, notamment à la mémoire de sa compagne et d’un ami disparu. Mais aussi indéniable : la joie de vivre retrouvée. Tout d’un coup, il remonte son T-shirt pour nous montrer les bleus que lui ont infligés une chute dans la douche. Il semble savourer son propre récit détaillé, en ajoutant : « je vous raconte toutes mes anecdotes pour vous faire rire ».

« Pour nous faire rire » : nous, qui étions venus pour lui remonter le moral…

Klaus, bénévole

 

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils·elles doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.